jeudi 22 février 2018

Aï WEWEI, Gabriel OROZCO, Pascale Marthine TAYOU :
 

Un atelier de réflexions, un monde d'œuvres :

les questionnaires des TL1 du lycée Renoir, pour réviser avant le Bac :

  http://quizrevolution.com/ch/a259822 
  http://quizrevolution.com/ch/a259832

 

 

mardi 6 février 2018

Photographie art et engagement AW PMT GO

ART et ENGAGEMENT : des utilisations de la photographie comme "arme de guerre" 

 En parallèle au cours de Spé Arts plastiques de Terminale : 

"le monde est leur atelier", Aï WEIWEI, Pascale Marthine TAYOU, Gabriel OROZCO.


Depuis son invention au tout début du XIXè siècle, la photographie a été l'objet de bien des polémiques, quand à son statut artistique reconnu très tardivement, à son simple rôle mécanique d'enregistrement du réel, juste bon à conserver une image figée de visages familiers.
Pourtant, avec l'évolution technique de l'appareil de prise de vue et la réduction du temps de prise de vue, les sujets se diversifient, et se dirigent vers la rue, le monde (1ères photographies de guerre en Crimée en 1855) : témoigner par l'image de conflits, d'injustices ou exactions n'est désormais plus accessible qu'aux seuls peintres. 

Roger FENTON : "campement et matériel des alliés, guerre de Crimée", daguerréotype, 1855
Rapidement, les photographes sortent du confort de leur studio à portraits, et s'aventurent hors des sentiers battus : aux USA,  Timothy O'Sullivan était apprenti au studio de daguerréotypes du photographe Mathew B. Brady (1823 ?-1896), à New York, lorsque la guerre de Sécession éclata, en 1861. Il est correspondant d'un journal et les clichés qu'il réalise alors dépassent en émotion le simple reportage visuel, notamment A Harvest of Death (Une moisson de morts, 1863), poignant témoignage de l'après tuerie.

Timothy O'SULLIVAN : "A harvest of death (une moisson de morts),Gettysburg,  tirage gélatino-argentique, 1863

A Paris, l'épisode sanglant de la Commune (du 18 mars au 28 mai 1871) voit s'opposer le peuple de la capitale et les Versaillais (alliés des Prussiens,  vainqueurs de la guerre contre la France) ; des artistes tels que Manet ou Daumier témoignent d'exécutions sommaires de Communards, et de scènes de barricade. Leur travail fait souvent l'objet de publications dans la presse sous forme de photogravures, dont les tons très contrastés évoquent des photographie.


Edouard MANET : "guerre civile", lithographie, 1871.
Pierre Ambroise RICHEBOURG : Avril 1871, coin de la place de l'Hôtel de Ville et de la rue de Rivoli, daguerréotype

A la suite de la "semaine sanglante"(du 21 au 28 mai 1871), le photographe versaillais Eugène Appert commence les prises de vue qui constitueront la base de son recueil "les crimes de la Commune" : on pourra y voir les premiers photo-montages politiques de l'histoire : de manière assez maladroite, les Communards y sont décrits en peloton d'exécution (bien trop serré pour ne pas se tirer dessus), alors que les suppliciés sont figurés par un montage de leur portraits avec un autre corps.


Eugène APPERT : "le massacre des dominicains d'Arcueil", daguerréotype par photomontage, série "Les crimes de la Commune", Juin 1871.
Eugène APPERT : "assassinat des otages dans la prison de la Roquette", daguerréotype, 1871
A ces images "menteuses", répond le cliché d'Eugène DISDERI, présentant des cadavres de communards gisant dans leur cercueil : la prise de vue est directe, plongeante, sans artifice aucun.


Eugène DISDERI : "communards dans leur cercueil", avril mai 1871
Il est intéressant de noter que cette image fut à la fois "icône" du camp communard, illustrant la brutalité des exécutions sommaires, et une photographie appréciée des Versaillais qui se félicitaient de l'aspect dérisoire de l'ennemi mis en bière...


PHOTOMONTAGES, PHOTOMENSONGES ?

Pendant les années 30, le photographe Helmut Hertzfeld (devenu John Heartfield dès son exil anglais forcé) développe une pratique du photomontage politique, dont le but avoué est de dévoiler la "mécanique nazie" désormais en marche : dès 1924, l'artiste pressent les velléités guerrières et revanchardes qui animent la société allemande de la république de Weimar : "10 ans après, pères et fils"...


 En 1929, un autoportrait d'Hertzfeld le montre armé de ciseaux vengeurs qui découpent littéralement le visage d'un corpulent commissaire de police. Dès lors, ses cibles seront le régime du parti nazi élu en 1933, et ses sinistres acteurs : tour à tour animaux féroces, pantins ridicules, les figures du parti nazi, et plus particulièrement Hitler, sont les cibles du regard féroce d'Heartfield.




John HEARTFIELD : "Wie im die Mittelalter, so im dritten Reich" (sous le 3ème Reich comme au moyen-âge", photomontage, 1934
John HEARTFIELD : "le sens du salut hitlérien (les millions sont derrière lui)", photomontage, 1935

A la même période, la guerre civile espagnole voit s'affronter les civils (républicains) et les partisans du général Franco, tyran qui règnera sur l'Espagne jusqu'au milieu des années 70 ; ce dernier s'allie avec les nazis, qui lui fournissent un appui militiaire afin d'écraser la rébellion en zone basque ; en avril 1937, le villa de Guernica est la cible d'un bombardement intensif, détruisant par l'incendie la quasi totalité du village ; la presse internationale (en France notamment), s'émeut de cet acte de barbarie ; des clichés sont publiés : on aperçoit des quartiers calcinés, des monceaux de corps brûlés ; Picasso se voit commander par le gouvernement républicain espagnol une œuvre pour l'exposition universelle de 1937 : "Guernica" sera peint quelques jours après le bombardement ; sa compagne photographe de l'époque, Dora Maar, a pris des clichés de son travail en cours. Picasso a avoué avoir utilisé les clichés développés par sa compagne au fur et à mesure pour corriger les contrastes sur son travail en cours. Le noir et blanc accentue le caractère dramatique des images, et il semble que Picasso lui-même se soit volontairement restreint à des valeurs de gris, pour être plus "efficace" ; il est aussi influencé par les journaux de l'époque, où les photographies très contrastées sont comme des "symboles" de la destruction.

Photographie de Guernica, publiée par Le Soir, 30 avril 1937
Photographie publiée dans Paris Soir, 27 avril 1937
Dora MAAR : photographie de Picasso travaillant à "Guernica", mai 1937

A la fin de la seconde guerre mondiale, les photographies instantanées de Robert Capa (agence Magnum) sont un exemple d'efficacité : prise lors du débarquement du 6 juin à Omaha Beach, cette série de clichés se focalise sur le cœur de l'action ("si vos photos sont mauvaises, c'est que vous n'êtes pas assez près" disait Capa), avec des traces de "bougé" sur beaucoup d'images. Mais cette objectivité n'enlève rien aux aspects plastiques des images, au contraire : là encore, la simplification du noir et blanc permet une partition claire entre masses sombres des soldats, ou des canons, et fond marin flou.






Depuis le début des années 70, sous l'influence conjuguée de la "street photography" (photographie de rue, initiée par Henri Cartier-Bresson) et de formes variées d'objectivité documentaire" (issues notamment du "monde est beau" de Renger-Patzsch), la photographie plasticienne est tout autant l'objet d'une pratique à part entière qu'un des supports parmi d'autres utilisés par un artiste. Les productions photographiques s'inscrivent aussi dans un contexte mondial de banalisation de l'image, qu'internet et les réseaux sociaux contribuent à faire circuler sans qu'une identification ou une hiérarchisation soit envisageable.

C'est justement aux débuts de cette ère du "tout photo"(années 90) qu'Aï WEIWEI, Gabriel OROZCO et Pascale Marthine TAYOU ont pris leur envol ; emprisonné en 2011 par les autorités de son pays, Weiwei a depuis longtemps utilisé la photographie comme outil d'enregistrement quotidien du réel : à ses débuts à New York (il y séjourne de 1981 à 1993), ses photographies (plus de 10000 recensées) hésitent entre observation de la rue et de ses mouvements (manifestations), les milieux spécifiques (chinois, artistes) et les mises en scène, où Weiwei pose en regard de références explicites à ses "pères" (vitrine où s'accumulent des objets "warholiens, imitation de la pose de l'autoportrait du "pape" du Pop-art).

Aï WEIWEI : "Aids protest", 1989
 
Aï WEIWEI : "Williamsburg, NY", 1983
Aï WEIWEI : "Abandoned ruins in lower east side, 1987
Aï WEIWEI : "Times square",  1989
Entre constat de la paupérisation de quartiers à l'abandon, et fascination des symboles rutilants de la "grosse pomme", Aï Weiwei ne choisit pas : il agit en "éponge", se nourrit de ce qui l'entoure, en même temps que sa culture artistique et ses engagements s'affirment au cœur des manifestations.


De retour en Chine, l'artiste n'a de cesse de s'insurger contre l'état policier qui a écrasé les manifestations place Tien Anmen en 1989 ; en 1995, son travail sur les "study of perspective" commence : des doigts d'honneur photographiés devant des monuments ou lieux symboliques d'un pouvoir (politique, financier) ; au-delà de la provocation, il y a un vrai aspect plastique de ces paysages, que des expositions révèlent sous forme de collection.

Aï WEIWEI : "study of perspective,Tiananmen square", 1995-2003


En 1995, WEIWEI a déjà commencé à acheter des objets archéologiques anciens (tabourets de la dynastie Quing, vases Han) ; avec la politique d'expansion économique chinoise, il constate au jour le jour la destruction pure et simple de villages entiers, avec eux les portes en bois ouvragés, qu'il récupère quelquefois in-extremis.
De ces objets, il "fait" autre chose et réagit : dans un geste qui tient à la fois de Dada et Duchamp, il détruit un vase millénaire, objet d'histoire à jamais réduit en poussière, et l'appareil photo sert alors à enregistrer (en 3 temps) la chute dudit vase. En parallèle, il peint à l'acrylique industrielle le logo Coca cola sur le même type de vase. Comme souvent chez cet artiste, objet et photographie entrent en relation dans une même espace d'exposition.


Aï WEIWEI : "dropping a Han dinasty urn", photographies, 1995

 
Aï WEIWEI : "painted Han dinasty urn", terre cuite peinte à l'acrylique, 1995

 Dès le début des années 2000, devenu une personnalité très influente (et par trop remuante) dans le paysage artistique mondial, Aï Weiwei s'intéresse de manière quasi documentaire aux transformations sociales et urbaines de la Chine et au développement anarchique du capitalisme. Il photographie et fait photographier les évolutions urbaines de la ville de Pékin mais également des différentes provinces chinoises (série Provisional Landscapes, 2002-2008), et suit l'évolution des chantiers réalisés en vue des Jeux Olympiques (série Beijing's Airport Terminal 3, 2002-2007 ; série Bird's Nest, 2005-2008). 

Parallèlement, il réalise quatre longues vidéos sur les périphériques routiers de la banlieue et du centre ville de Pékin (Beijing, 2003-2005), afin de montrer la réalité et la transformation urbaines mais également la circulation de masse.

Encore une fois, c'est une approche mécanique et systématique d'un système qui enferme les individus dans une nasse ; comme s'il n'était possible de répondre à l'absurdité que par l'absurdité, à la vidéo-surveillance que par la vidéo surveillance. La toile tressée par un pouvoir avide de posséder, maitriser, a son équivalent warholien, chez l'artiste chinois, qui affirme qu'il n'est dupe de rien.


Aï WEIWEI : "Beijing airport terminal" (c-print, 46,5x60 cm chaque,
vue de l'exposition, "Entrelacs", Paris, Musée du Jeu de Paume.
Aï WEIWEI : "provisional landscapes" (c-print, 46,5x60 cm chaque,
vue de l'exposition, "Entrelacs", Paris, Musée du Jeu de Paume.
Aï WEIWEI : "provisional landscapes" , dyptique, (impression jet d'encre, 46,5x60 cm chaque,
vue de l'exposition, "Entrelacs", Paris, Musée du Jeu de Paume.
Les photographies urbaines de Thomas Struth, héritières des "collections" de Bernd et Hilla Becher, ne sont pas sans rappeler par leur objectivité "glaciale", bien des aspects du travail d'enquêteur de Weiwei ; à une nuance importante, pas de propos polémique chez Struth, qui revendique la plasticité avant tout. 


Thomas STRUTH : "Shinju Ku (gratte-ciel), Tokyo, 1986.
Aï WEIWEI : "provisional landscape", cprint, 2012.
Au Canada, les images d'Edward Burtinsky se peuvent aussi être rapprochées du travail sériel d'Aï Weiwei ; son recueil "Oil" (1997) retrace en images un parcours à travers les USA et son pays d'origine pour y observer, souvent depuis le ciel, les traces d'un monde dévolu à l'industrie pétrolifère : immenses cimetières d'avions militaires construits pour rien, champs de derricks, nœuds autoroutiers inouïs, décharge de pneus...

Ed BURTYNSKY : "tyres" (série Oil, 1997)
 
Ed BURTYNSKY : "USAF planes" (série Oil, 1997)

Aï Weiwei revendique l'emploi du nombre, la multiplication comme renvoi à l'économie de marché productiviste chinoise : du point de vue photographique, les clichés sont juxtaposés et organisés en grilles obsessionnelles, au même titre que les listes de noms d'enfants victimes des tremblements du Sichuan (2008-2009). Une même obsession pour la "grille", la série, que la présentation en perspective vient renforcer, se retrouve aussi chez Andreas GURSKI, spécialiste d'immenses panoramas où l'humain semble une donnée secondaire, englouti dans une trame (architecture). Une vision doucement critique d'un monde "géant", peu adapté aux individus. Mais chez Gurski, il y a une fascination, une esthétique du "grand" (les photos sont bien moins nombreuses et plus grandes que chez Weiwei). 

Andreas GURSKI : "99 cent", diptyque, 209X307 cm.
 Les productions les plus récentes d'Aï Weiwei s'emparent plus que jamais des outils et modes de communication contemporain : Twitter, Facebook, selfies, blogs.
Lors de son arrestation en 2009, l'artiste prend son autoportrait dans l'ascenseur : le mobile déclenche le flash, qui se reflète dans la vitre. Postée sur les réseaux, l'image fait le tour du monde. 



Des réseaux sociaux, l'image sera imprimée et tirée en très grand format, et associée à d'autres clichés plus petits, comme des selfies de l'artiste avec des réfugiés, ou les centaines de photos de "pieds levés". Depuis 2014, il a lancé un mouvement via les réseaux sociaux incitant tout un chacun à un geste de révolte, jambe levée comme une arme : les "fake-guns" s'inspirent d'une lire interprétation d'un pas de gymnastique maoiste, aux accents déjà guerriers.

#AiWeiwei ,Exposition Aï Wewei à Chicago, juillet 217




 En janvier 2016, la tragédie (une de plus) d'un bateau de réfugié qui sombre non loin des plages de Lesbos émeut particulièrement la communauté internationale : le petit Ilan Kurdi est retrouvé échoué, face au sol. La photographie est bientôt reprise par tous les médias ; Aï Wewei vient sur place quelques temps après, et se met en scène dans la position de l'enfant ; le cliché est réalisé en noir et blanc. Si l'engagement est sincère, on peut discuter de la démarche, qui consiste à s'approprier un fait dramatique pour le relayer via sa propre image d'artiste.



Un autre artiste sensible aux questions touchant les migrations, Anish Kapoor (il est d'origine indienne) a récemment créé sa "version" d'une œuvre connue (du moins de sa trace mémorielle) : en 1974, l'artiste allemand Josef Beuys crée sa performance "Coyote (I like America and America likes me") ; en toile de fond, l'intrusion contestée des USA au Vietnam et le génocide indien...reste aujourd'hui une affiche "souvenir", portrait de Beuys (en négatif photo) devant la galerie Rene Block à New York.
En novembre 2017, afin de fustiger la violence des propos et de la politique anti-migratoire mené par Doanald Trump, Kapoor publie sa version de cette affiche (sur son site internet et sur les réseaux sociaux). Une manifestation dont humour réjouissant peut aussi toucher.
Anish KAPOOR : "I like America and and America doesn't like me", 2017