vendredi 24 avril 2020

Terminale Spécialité - HASARDS PROGRAMMES : les productions des élèves

Sujet 8 : HASARDS PROGRAMMES



 A PARTIR D’UNE DES 3 IMAGES FOURNIES, réaliser une production graphique ou picturale, vidéo, selon des consignes écrites (maximum 5) qui combineront la règle stricte (limite les possibilités d’action) et la règle qui crée le hasard et la contingence (ouvre le champ des possibles).






Quelques productions des élèves ci-dessous : un travail vidéo de Sacha, associant une bande sonore de John Cage (elle-même constituée de fragments de sons combinés, superposés et répétés de manière aléatoire).

Photogramme de la vidéo de Sacha
 Ci-dessous lien vers la vidéo complète :
https://drive.google.com/open?id=18_Zql2VI97Aub2Mzq6oTvfdAu9xMZyAU 


Explications de son "programme" : 
 "J’ai en effet choisi le dessin des têtes qui m’a immédiatement intrigué. Les formes rondes et régulières, mais qui pourtant était encore inachevé de par le tracé du crayon, m’ont directement semblé plus en accord avec le sujet et avec cette notion de « double règle ». Ainsi, la forme du rond tracé au crayon m’a servi de règle de hasard et l’espace entres ces esquisse lui servait de contrainte.
Je me suis donc fixé différentes règles. Tout d’abord, avant de commencer la modification par le dessin (numérique), j’ai décidé de traiter les images et de les modifier d’une façon aléatoire de par l’utilisation d’effets (J’ai utilisé une application qui m’était totalement inconnue pour ne pas adopter une logique significative). 


Dès lors que ma règle de hasard étant établie, j’ai fixé la logique de contrainte. Ainsi dans la partie graphique du dessin numérique mes principales contraintes étaient :
-Un ou deux carrés/ ronds par images ; répétition systématique d’une forme avant de pouvoir en faireune autre ; répéter la même image tout en la modifiant au préalable et selon les règles établies. 

Dès lors j’ai constitué une série d’une centaine d’images et une autre d’une trentaine.
 

Mon Fonctionnement : Je modifiais image par image, ainsi par exemple : je traçais un rond sur la première image j’utilisais le copié-collé et sur la deuxième image (copie de la première) je traçais un second rond/carré, jusqu’à obtenir une séquence assez longue dans laquelle les formes se construisaient. Dès lors cette vidéo est donc une succession d’image répétées, modifiées et cadencées une par une. C’est une technique est relative au film d’animation : des images qui se succèdent à la suite les unes des autres à une cadence assez élevé d’une manière à ce que le rendu soit fluide et logique.

De plus, pour donner « vie » à ces règles j’ai utilisé un fond sonore étant la mélodie composé par John Cage en 1941 se nommant « third-construction ». Sa rythmique régulière et sa monté en puissance m’ont paru intéressantes à exploiter dans le cadre de la contrainte et de la libération ou de la soumission celle-ci (symbolisé par les ronds) et à sa logique.
Donc, la forme du carré elle symbolisait la contrainte abstraite mais aussi matérielle (son aspect rectiligne occupant l’espace). Tandis que les rond eux exprimaient d’une façon abstraite cette idée de hasard et de créativité présente dans le sujet. Notamment lorsque ces rond prennent de plus en plus d’ampleur (2eme série d’image en noir) et s’affranchissent en quelque sorte de cette barrière de contraintes. 


Ainsi le sujet s’exprime autant dans les règles établies que dans la forme pure de l’image que j'ai choisie."


vendredi 3 avril 2020

HORS-CHAMP PERTURBANT : un travail photographique des secondes option arts plastiques


Le hors-champ : maintenir la tension dans une image





Le hors champ est naturellement associé à la pratique photographique. Il est vrai que tout découpage du réel, par l'opération du cadrage, induit des absences, des éléments tronqués. Pourtant, si ce sont bien les photographes (puis les cinéastes) qui se sont appropriés ce questionnement, il vient aussi de l'univers de la peinture : à l'époque où le daguerréotype est expérimenté dans tous les domaines (y compris en dirigeable pour observer les toits de Paris !), Edgar DEGAS (1834-1917) se passionne pour des sujets novateurs, au contact de la vie quotidienne : la rue, les salles de spectacle, le travail (blanchisseuses), la danse, et les champs de course ; grand amateur de chevaux, Degas réussit dans "le champ de courses" (1877) à restituer l'animation régnant sur un hippodrome : à l'extrême gauche, un cavalier entre dans le cadre à vive allure ; au centre, trois jockeys à cheval se superposent, regardant tous les trois dans des directions différentes. Dans le bord droit du tableau, l'arrière d'une calèche, où est assise une femme de dos, semble fuir aussi le centre de l'image ; enfin, un homme au chapeau noir, de dos, fait son apparition dans le bas de l'image. Ces "découpes" dynamisent l'image, qui devient un lieu de trajectoires croisées.

Edgar DEGAS : "le champ de couses" (1877), huile sur toile.

Edgar DEGAS : "Musiciens de l'opéra" (1872), huile sur toile.

Le hors-champ est ce qui échappe au champ de vision : l’espace (dans les bordures externes de l'image), dans le temps (avant et après ce que l'image nous présente), le contexte. 
Synonyme de mise en scène, la construction d'une image par du hors-champ apporte le mystère, la dramatisation et surtout une frustration de ne pas "tout voir et tout savoir" : le peintre livre des indices, mais il en réserve un certain nombres, dont il suggère une présence à l'extérieur du cadre. 
Dans les peintures de Johannes VERMEER, les personnages représentés, tous dans un intérieur bourgeois, semblent souvent happés par une préoccupation qui les projette hors de la pièce ; dans la "jeune fille lisant une lettre à sa fenêtre" (1667), la lumière du jour illumine la pièce et le visage de la jeune femme ; pour autant, on ne voit pas le soleil. La lettre lue donne probablement des nouvelles d'un mari, amant, en voyage lointain ; en dehors de cette maison où tout semble figé, la vie continue.

Johannes VERMEER : "jeune file lisant une lettre à sa fenêtre" (1667), huile sur toile.


Formes, objets et corps suggérés plutôt que montrés, lumières dont on saisit pas la source ou la nature, regard(s) dirigés vers l'extérieur, reflets et ombres qui renvoient à un espace externe, ce sont là les aspects principaux du hors-champ, en photographie comme en peinture.
Chez le peintre américain Edward HOPPER, le hors-champ est un élément central ; les personnages souvent esseulés qu'il représente dans des espaces intérieurs, semblent noyés, mélancoliques : comme s'ils aspiraient à s'évader, ils regardent vers l'extérieur, se trouvent décalés, en marge de la "scène". Dans "New york movie" , deux espaces semblent refoulés aux frontières du tableau, et constituent ainsi deux pôles d'attraction pour le regard : l'espace de droite où l'ouvreuse en proie à l'ennui semble confinée. Une lumière jaune la met en valeur. A gauche, la salle de cinéma ne nous est accessible que par un fragment d'écran, quelques spectateurs de dos fixant une image qui nous est définitivement cachée.



Edward HOPPER : "Gas" (1940), huile sur toile.



Edward HOPPER : "New york movie" (1939), huile sur toile.

Edward HOPPER : "Rooms by the sea" (1951), huile sur toile.

Dans le contexte anxiogène du confinement, j'ai demandé aux élèves de seconde de réaliser un cliché où le hors-champ serait un élément perturbant : les outils de retouche numériques devaient être utilisés, à l'inverse de ce que pratiquent nombre de photographes encore aujourd'hui. Mais le recours au "trucage" se devait d'être efficace, discret, et articulé de manière pertinente à la photo "brute".


Travail de Clara D. : un léger apport de lumière, et une fenêtre isolée.
Travail de Clara C : nocturne flamboyant...


Soucoupes cachées...
Travail de Marie V. ombres humaines et végétales...

Travail d'Axel T. "derrière toi !"

jeudi 2 avril 2020

Terminale Spécialité - HASARDS PROGRAMMES : autour des dessins de Véra MOLNAR et Sol LEWITT

 

Programme et hasard dans les dessins "assistés" de Véra MOLNAR et Sol LEWITT : aux origines...


A la fin des années 50 naissent deux mouvements artistiques très marquants, qui ont posé des questionnements essentiels (et toujours d'actualité) sur le statut de l'artiste et sur le renouvellement des outils pour faire œuvre.

L'art conceptuel, plutôt qu'un mouvement, est un ensemble de productions et projets artistiques issues essentiellement des USA et d'Angleterre, en lien avec une revue, "Art and language" (dès le milieu des années 60) dirigée par l'artiste Lawrence Weiner. Influencés par la vision Duchampienne intellectuelle de l'art, qui pourrait n'être qu'idée et quasi immatériel ("Air de Paris" en 1916), ces artistes vont avant tout s'opposer au lyrisme débordant de l'expressionnisme abstrait qui domine alors sur la scène des arts plastiques. 
Il concerne plutôt des artistes qui ont pour première exigence d'analyser ce qui permet à l’art d’être art, en dehors de toutes les "concessions" stylistiques, historiques (ce que le peintre new-yorkais Ad Reinhardt appelle "art as art as art" et récapitule dans ses "12 règles pour un nouvelle académie" en 1953 : "pas de texture, pas de travail du pinceau, pas de forme, pas d'esthétique,..." Un programme de conception de l'œuvre par la négative, qui ont abouti aux fameuses "ultimate paintings" (1955-62), tableau d'une épuration formelle et d'un ascétisme extrême.


Ad REINHARDT : dessins structurels de 6 des "Ultimate paintings" (1956 à 1959).
Ad REINHARDT : "Twelve rules for a new Academy" (1953).



Le travail du musicien et plasticien John CAGE constitue un autre apport notable dans l'éclosion de l'art conceptuel et d'expérimentations artistiques basées à la fois sur un programme (texte) et l'intervention du hasard ; dans nombre de ses "pièces" musicales, CAGE produit des dessins aléatoires en guise de partitions, qui seront ensuite associés à une série d'instructions à destination de l'exécutant (on retrouvera cette idée des instructions pou faire l'œuvre dès le premier "Wall drawing" de LeWitt en 1969) ; dans "Fontana mix" (1958), des instructions permettent à l'"exécutant" d'associer de manière aléatoire 3 calques dessinés et superposés (qui tiennent lieu de partitions) , à des bandes musicales préenregistrées : les distances obtenues entre les différents points obtenus seront interprétées en termes de longueur, intensité, couleur sonore, à partir de la "banque de données" de sons disponibles au début. Il y a chez CAGE une rencontre permanente du hasard ("chance" en anglais) et d'aspects programmatiques, qui contribuent à faire de l'œuvre quelque chose d'ouvert, renouvelable sans cesse, et où dessiner c'est matérialiser une idée (la ligne ondulante est "interprétée" comme des glissandis de cuivres, des roulements de tambour aux intensités variables,...etc)  

John CAGE (1900-1980) : "Fontana Mix" (1958), 3 calques superposés, le dernier (règle) permet de relier autant de points à l'extérieur de la grille que ceux présents dans la grille ; les dessins de lignes aléatoires sont interprétés comme des séquences de sons (intensité, couleur, texture)

Chez Sol LEWITT, le concept est dessin, projet, plutôt que réalisation : sous l'influence première de Reinhardt et des constructivistes russes (Tatline, Rodtchneko), il commence par créer des mises en scène épurées, qui permettent au spectateur de saisir la dimension structurelle et programmatique de l’art, comme « cosa mentale » (Léonard de Vinci) et processus : ainsi, ses premières sculptures, les « Open structures » (années 65 à 69) se présentent comme des esquisses tridimensionnelles d’occupation d’un espace d’exposition : réalisé d'après des dessins préparatoires, l’objet abstrait (empilement régulier de cubes blancs) se confond avec l’idée de sculpture : il en est l’épure, le principe matérialisé par une grille régulière. La trame cubique est un dessin jeté dans l'espace tridimensionnel et il incarne des "virtualités" plutôt qu'un unique solution. Dans une des premières séries d'"open structures", intitulée "Serial project n°1 (A+B+C+D)" (1966), Lewitt dessine 4 modules et interpolations de ces modules, puis en propose différentes modalités d'apparition et d'exposition.


Sol LEWITT : "Serial project n°1 (A+B+C+D)"(1966)


Chez Lewitt, on retrouve cet intérêt pour le jeu de combinaisons (simples puis infinies) dans ses dessins muraux : dans les "certificates" (preuve de vente signée de la main de l'auteur), les indications pour la réalisation sont à la fois fermées (mesures strictes et non modulables) et ouvertes ("des lignes ondulantes"), ce qui laisse aux opérateurs une marge d'interprétation.

Sol LEWITT : "Wall drawing #146", instructions traduites.


Sensiblement à la même époque, l'art des Algoristes (USA, Allemagne) nait d'une rencontre entre la recherche mathématique pure, les débuts de l'informatique, et un intérêt manifesté par certains artistes pour l'art dit "Concret" (mouvement issu à la fois de l'abstraction et du Bauhaus) ; est  considéré comme concret toute forme plastique qui se réduit à sa présentation et ne nécessite pas d'interprétation : les formes géométriques, épurées, celles qui expriment un principe (superposition, imbrication, répétition...etc) peuvent être l'œuvre.
Aux USA, un ex-enseignant de l'école d'art du Bauhaus (fermé par les nazis en 1933), continue de développer des séries de carrés mis en abyme : la série "hommage to the square" (dès 1940 jusqu'au années 60) est un ensemble sériel de tableaux utilisant un dessin(structure) toujours identique, alors que les textures, la luminosité, la transparence et les couleurs sont, elles, très variées. 

Josef ALBERS : série "Hommage to the square", années 40 à 60 ; peintures à l'huile sur toile.
De la même manière que Lewitt collectionnera des centaines de photographies par types de formes (cercles, carrés, grilles...), publiées en suite sous forme de livres, les Algoristes développent des programmes graphiques associant des formes basiques à des tâches d'impression : les travaux de Frieder NAKE sont ainsi basés sur des programmes ayant intégré des données basiques (quelques couleurs, des formes) et des fonctions d'association "aléatoire" (random) de ces données. Une fois le programme lancé, il exécute l'image au moyen d'un traceur (ancêtre des imprimantes). Le programme est différent à chaque impression et peut inclure différents passages et superpositions d'encres (on voit ci-dessous que les encres ont "bavé " à plusieurs endroits" ce qui redonne un côté pictural à ce travail exécuté par une machine !)

Frieder NAKE : "matrix multiplication" (1967), encres de couleur sur papier pour traceur.
Chez Manfred MOHR (Allemagne), la réalisation du dessin est tributaire d'outils technologiques (traceurs, imprimantes, puis écrans vidéo), et de systèmes mathématiques (suite de Fibonacci par exemple) : selon les données fournies au programme informatique (mesures, formes, couleurs) et les instructions correspondant à un algorithme, des séries de dessins sont produits, correspondant aux possibilités (finies ou infinies) de combinaisons de formes basiques. Partant d'un cube représenté en isométrie, le programme algorithmique va en exécuter le déploiement dans l'espace en "éclatant" le cube, selon des angulations des arêtes chaque fois différentes. Obsessionnel et certes un peu répétitif, cet art expérimental correspond aux prémisses de l'informatique et à une découverte fascinante de ses possibilités illimitées. 

Manfred MOHR : "P 197K" (1977) acrylique sur toile, d'après les impression sur papier, rotations indépendantes de 2 fraction de cubes dans l'espace.
Chez Véra MOLNAR, les premiers travaux d'impression de dessin avec traceur sont réalisés au début des années 70 : on y retrouve la forme emblématique du carré, imprimé de manière sérielle, sur des formats le plus souvent carrés : le programme informatique basique, mis au point par son mari mathématicien, est le langage Fortran, permettant d'écrire en langage codé de petits programmes dont l'exécution est graphique ; c'est lors de l'écriture de ces programmes que Véra Molnar introduit son fameux "1% de désordre", au sein d'une grille par trop monotone et systématique. La série de dessins intitulés "(Dés)ordres" (dès 1972) illustrent cette double dimension : la feuille se présente comme une grille de cases toutes identiques par leur dimension, mais différentes par leur structure interne (carrés en abyme, se décalant de 1 degré supplémentaire à chaque nouveau carré, et de combinaisons chromatiques différentes pour chaque case).

Ver MOLNAR : "(Dés)ordres" (1974), dessin au traceur, 60X60cm.



Le programme de dessin est aussi associé à des "re-lectures" de l'histoire de l'art : ainsi les séries d'hommage à Piet Mondrian, Cézanne, Dürer, ou Paul Klee sont des appropriations de "modules" ou fragments graphiques extrait des œuvres originales ; traduits en éléments basiques (traits de longueur, épaisseur, différentes), ils sont ensuite combinés de manière algorithmique par les programmes Fortran "écrits" par Molnar.

Vera MOLNAR : "Mondrian dérangé" (1974), d'après "jetée et océan", impression avec traceur.

Piet MONDRIAN : "Jetée et océan" (1914), huile sur toile.