vendredi 3 avril 2020

HORS-CHAMP PERTURBANT : un travail photographique des secondes option arts plastiques


Le hors-champ : maintenir la tension dans une image





Le hors champ est naturellement associé à la pratique photographique. Il est vrai que tout découpage du réel, par l'opération du cadrage, induit des absences, des éléments tronqués. Pourtant, si ce sont bien les photographes (puis les cinéastes) qui se sont appropriés ce questionnement, il vient aussi de l'univers de la peinture : à l'époque où le daguerréotype est expérimenté dans tous les domaines (y compris en dirigeable pour observer les toits de Paris !), Edgar DEGAS (1834-1917) se passionne pour des sujets novateurs, au contact de la vie quotidienne : la rue, les salles de spectacle, le travail (blanchisseuses), la danse, et les champs de course ; grand amateur de chevaux, Degas réussit dans "le champ de courses" (1877) à restituer l'animation régnant sur un hippodrome : à l'extrême gauche, un cavalier entre dans le cadre à vive allure ; au centre, trois jockeys à cheval se superposent, regardant tous les trois dans des directions différentes. Dans le bord droit du tableau, l'arrière d'une calèche, où est assise une femme de dos, semble fuir aussi le centre de l'image ; enfin, un homme au chapeau noir, de dos, fait son apparition dans le bas de l'image. Ces "découpes" dynamisent l'image, qui devient un lieu de trajectoires croisées.

Edgar DEGAS : "le champ de couses" (1877), huile sur toile.

Edgar DEGAS : "Musiciens de l'opéra" (1872), huile sur toile.

Le hors-champ est ce qui échappe au champ de vision : l’espace (dans les bordures externes de l'image), dans le temps (avant et après ce que l'image nous présente), le contexte. 
Synonyme de mise en scène, la construction d'une image par du hors-champ apporte le mystère, la dramatisation et surtout une frustration de ne pas "tout voir et tout savoir" : le peintre livre des indices, mais il en réserve un certain nombres, dont il suggère une présence à l'extérieur du cadre. 
Dans les peintures de Johannes VERMEER, les personnages représentés, tous dans un intérieur bourgeois, semblent souvent happés par une préoccupation qui les projette hors de la pièce ; dans la "jeune fille lisant une lettre à sa fenêtre" (1667), la lumière du jour illumine la pièce et le visage de la jeune femme ; pour autant, on ne voit pas le soleil. La lettre lue donne probablement des nouvelles d'un mari, amant, en voyage lointain ; en dehors de cette maison où tout semble figé, la vie continue.

Johannes VERMEER : "jeune file lisant une lettre à sa fenêtre" (1667), huile sur toile.


Formes, objets et corps suggérés plutôt que montrés, lumières dont on saisit pas la source ou la nature, regard(s) dirigés vers l'extérieur, reflets et ombres qui renvoient à un espace externe, ce sont là les aspects principaux du hors-champ, en photographie comme en peinture.
Chez le peintre américain Edward HOPPER, le hors-champ est un élément central ; les personnages souvent esseulés qu'il représente dans des espaces intérieurs, semblent noyés, mélancoliques : comme s'ils aspiraient à s'évader, ils regardent vers l'extérieur, se trouvent décalés, en marge de la "scène". Dans "New york movie" , deux espaces semblent refoulés aux frontières du tableau, et constituent ainsi deux pôles d'attraction pour le regard : l'espace de droite où l'ouvreuse en proie à l'ennui semble confinée. Une lumière jaune la met en valeur. A gauche, la salle de cinéma ne nous est accessible que par un fragment d'écran, quelques spectateurs de dos fixant une image qui nous est définitivement cachée.



Edward HOPPER : "Gas" (1940), huile sur toile.



Edward HOPPER : "New york movie" (1939), huile sur toile.

Edward HOPPER : "Rooms by the sea" (1951), huile sur toile.

Dans le contexte anxiogène du confinement, j'ai demandé aux élèves de seconde de réaliser un cliché où le hors-champ serait un élément perturbant : les outils de retouche numériques devaient être utilisés, à l'inverse de ce que pratiquent nombre de photographes encore aujourd'hui. Mais le recours au "trucage" se devait d'être efficace, discret, et articulé de manière pertinente à la photo "brute".


Travail de Clara D. : un léger apport de lumière, et une fenêtre isolée.
Travail de Clara C : nocturne flamboyant...


Soucoupes cachées...
Travail de Marie V. ombres humaines et végétales...

Travail d'Axel T. "derrière toi !"

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